HISTOIRE GLACANTE (Halloween approche…)
L’île de Devon, dans l’archipel Arctique, mérite tout un livre. Gigantesque. J’en avais abordé des segments en 2018, on en visita d’autres cet été.
Haut relief minéral, étêté par les anciennes glaces, entaillé de vallées sèches, bleue glace au nord, rouge désert au Sud. Des fjords comme des canyons, des coraux broyés d’anciens temps océaniques. Loin dans son centre, on lui sait exposer l’un des plus grands cratères d’impact météoritique au monde. Ici, chercheurs et les cinéastes viennent imaginer la vie sur Mars au milieu de fossiles de dinosaures. Devon, c’est un îlot de préhistoire émergeant des glaces .
Une terre d’ours, de belugas, de renards, d’oiseaux, et de rien d’autre. Nous avons arpenté ses fjords ventés et aperçu les bêtes minuscules dans les pentes fantastiques.
Mais ses trésors les plus intimes sont dissimulés sur une petite île voisine, Beechey.
Sur cette longue plage fossile pergélisolée bordée d’eau turquoise, les seuls végétaux sont des morceaux de bois flottés échoués depuis des décennies. Il y a parmi eux d’anciens mats de bateaux cloutés et des bois plus récents où des noms sont gravés.
Au nord de la plage, blotties au ras du vent, se dressent les planches en croix de 4 tombes.
Ces tombes, creusées en 1845, sont celles des 3 premiers marins morts de la tristement célèbre expédition de Sir John Franklin, lancée à l’assaut du passage du Nord-Ouest. L’équipe hiverna à Beechey, puis disparut. Aucun des 134 membres ne revint jamais. La quatrième tombe est celle d’un marin parti à leur recherche en 1850, qui péri lui aussi, comme d’autres ensuite. Tous les 4 âgés de moins de 30 ans. Les momies furent autopsiées il y a quelques années puis remises en place. Cause de la mort : maladies multiples.
Au bout de la plage, les vestiges d’une cabane éventrée et d’anciens bidons rouillés témoignent d’autres passages : un mélange d’expéditions à la recherche de Franklin ordonnées par son épouse, une carcasse de bateau qu’on avait rempli de vivres et abandonné là, au cas où Franklin repasserait, le séjour d’un hydrographe, des miliaires venus en faction quelques semaines, quelques pas d’Amundsen, le fantôme du jeune explorateur Joseph René Bellot qui y passa avant de disparaître à travers la banquise en 1853, plusieurs mémoriaux récents érigés par les visiteurs en hommage à ces héros.
Que devinrent Franklin et ses hommes ? Les recherches dans ce labyrinthe cauchemardesque ne menèrent à rien d’autre qu’à des pertes humaines. Ce ne fut que beaucoup plus tard que l’on trouva des témoignages, et enfin, en 2014 et 2016, découvertes bouleversantes des épaves de l’Erebus et du Terror, loin au sud. Une partie de l’équipage survécut et se déplaça ainsi, à la recherche d’aide, durant près de cinq années, avant de périr jusqu’au dernier !
Beechey Island.
Une plage de cailloux blancs soufflée par les vents Quelques rondins de bois.
4 momies.
Le poids d’une atmosphère que l’on n’oublie pas.